Pour la première fois à la Comédie-Française, la comédienne allemande Katharina Thalbach, héritière spirituelle de Brecht, met en scène La Résistible Ascension d’Arturo Ui, sublimant l’aspect grotesque et caricatural de la pièce.
Au bord de la scène, tissée du plancher au plafond, se dresse une immense toile d’araignée. Le sol incliné représentant la carte de Chicago échoue indubitablement les despotes à proximité du public. La scénographie entre lumière et obscurité fait briller les lèvres rouge sang qui contrastent avec les visages blanchâtres des comédiens. Pourtant, malgré leur maquillage effrayant, Hitler, Göring et les autres, à peine déguisés derrière ces personnages, ne sont que des petits escrocs ridicules dont il faut rire pour les anéantir. Le remarquable travail sur le noir et le blanc évoque les films muets. Le jeu des comédiens fait penser aux gags de Charlie Chaplin et en particulier au film Le Dictateur sorti un an avant l’écriture de la pièce. Brecht a fait de ces monstres des personnages de foire prêts à recevoir les tartes à la crème. On retrouve les différents artifices du théâtre populaire : les trappes, les démarches grotesques, les répliques triviales… un vrai spectacle de marionnettes à la fois drôle et terrifiant.
La metteuse en scène a parfaitement respecté ce parti pris grand guignolesque. A l’image de leurs vêtements : des patrons de costumes aux traits de coutures apparents, ils n’ont pas l’étoffe des héros, pas même celle des anti-héros. Sans finesse ni psychologie, ils évoluent en profitant chacun de la petitesse de l’autre. On ne reconnaît presque pas les comédiens derrière le maquillage épais mais chacun d’eux excelle avec une mention particulière pour Laurent Stocker qui singe Hitler à la perfection.
"Arturo Ui : Je suis un homme qui respecte les lois quand on lui épargne les rigueurs de la loi."
La Résistible Ascension d’Arturo Ui – Bertolt Brecht
Berthold Brecht a écrit cette pièce en 1941 en Finlande où il s’était exilé pour fuir le régime Nazi. Trois semaines lui seront suffisantes pour achever son manuscrit qui parodie l’ascension d’Hitler entre 1929 et 1938 en la retranscrivant dans le milieu du grand banditisme aux Etats-Unis. Voici l’histoire : dans les années 1940 à Chicago, le trust du chou-fleur traverse une période économique difficile. Ses détenteurs essayent d’acheter le maire Hindsborough pour obtenir des subventions publiques. De son côté, la bande du gangster Arturo Ui, sur le point de disparaître faute d’activité, cherche une place dans le cartel pour subsister. Le jour où Arturo apprend la corruption du maire, il réussit, grâce au chantage, à s’y introduire et à imposer son projet : Semer la panique dans la ville en persécutant les marchands de choux fleurs pour pouvoir leurs proposer une protection contre de grosses sommes d’argent.
La pièce s’inscrit dans la conception théâtrale de Bertholt Brecht, le dramaturge cherche à imposer aux spectateurs une distance avec ce qui se passe sur la scène. Ses pièces sont fortement politisées et l’objectif est de maintenir le spectateur dans un état propice au questionnement et à la réflexion. Brecht n’hésitait pas à utiliser des banderoles que ses personnages déroulaient pour aider le spectateur à faire le parallèle entre l'histoire et la réalité. Certaines répliques sont directement adressées au public. Ici, la toile d’araignée est une représentation physique du quatrième mur. Elle impose une barrière qui exclut les spectateurs de la représentation théâtrale et le sépare de la scène. Le théâtre est ramené à sa dimension illusoire pour mieux percevoir la réalité exposée.
Cette dimension politique se retrouve dans les choix de mise en scène. A la fin de la pièce, le discours d’Arturo Ui glisse doucement vers un véritable enregistrement d’Hitler qui nous rappelle à une réalité beaucoup plus sombre et nous fait regretter les frasques de ces charlots. La Première représentation a eu lieu début avril 2017, c’est-à-dire un mois avant le premier tour de l’élection présidentielle. Quelques répliques rajoutées font étrangement penser aux tics verbaux de certains politiciens, n’est-ce pas ! Bête noire ou bête blonde, Brecht nous a prévenus : « Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. ».
La Résistible Ascension d'Arturo Ui - Comédie-Française
1 Place Colette 75001
Du 27 février 2018 au 21 mai 2018 Du lundi au dimanche à 20h30
de 7€ à 43€