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La Locandiera

Après le succès de La Trilogie de la villégiature en 2012 salle Richelieu, Alain Françon revient à la Comédie-Française pour mettre en scène La Locandiera, œuvre majeure du même dramaturge, Carlo Goldoni (1707-1793).


© Christophe Raynaud de Lage

De 1750 à 1751, Goldoni écrivit dix-sept pièces dont La Locandiera. Cette comédie en trois actes met en scène Mirandolina, une aubergiste ("locanderia" en italien) qui dirige l’établissement de bonne réputation que lui a légué son père décédé six mois plus tôt. A l’ouverture de rideau, plusieurs hôtes habitent la maison : le marquis de Forlipopoli (Michel Vuillermoz) et le comte d'Albafiorita (Hervé Pierre) qui tous deux tentent de charmer Mirandolina ainsi que le chevalier de Ripafratta (Stéphane Varupenne), un homme misogyne, sexiste et méprisant avec l’aubergiste. Pour se venger en son nom et en celui de la gente féminine qu’il insulte, cette dernière va se donner comme défi de charmer le chevalier, ce qui l’engagera dans une situation plus dangereuse et destructrice qu’elle ne le pense.


« LE CHEVALIER : Ah oui, le débat en vaut la peine, assurément ! C'est une femme qui vous émeut, qui vous fait perdre votre sang-froid ? Une femme ? Que ne faut-il pas entendre ! Une femme ! pour moi, il n'y a pas de danger que j'aie jamais à me quereller avec qui que ce soit pour une femme. Je n'ai jamais aimé les femmes, jamais je n'ai eu pour elles la moindre estime, et s'il faut tout vous dire, je suis convaincu que la femme est pour l'homme la pire des calamités. »

La Locandiera, Goldoni, 1751


Carlo Goldoni fait partie de ces auteurs de XVIIIe siècle qui transformèrent la traditionnelle commedia dell’arte sur le déclin en pièces plus complexes qui questionnent la société. Le dramaturge italien, va proposer ici une vision moderne concernant la place de la femme dans la société. Mirandolina n’est pas une simple coquette dont on moque les manières. Au contraire, toute l’intrigue met en valeur sa sympathie et sa ruse. Goldoni ne dessine pas pour autant une société utopique, cette aubergiste vit dans un monde hostile à son sexe. Certes elle est libérée du joug masculin puisqu’elle elle n’a ni père ni mari mais chacun des pensionnaires lui rappellent sa situation. Florence Viala, dirigé par Alain Françon met particulièrement bien en valeur cet aspect de la pièce. Elle doit bon gré, mal gré écouter et subir les avances de ces messieurs, ne pas refuser leurs cadeaux et leur dire cordialement qu’elle n’est pas intéressée par leurs avances pour ne pas perdre la bonne réputation de son auberge. Ils lui rappellent également en permanence son rang social. S’ils la convoitent, c’est parce qu’elle se refuse à eux mais quelques répliques trahissent leur pensée véritable ; Aucun d’eux n’oserait écorner son titre de noblesse pour se marier avec elle. Ce rejet se retrouve également entre les hommes, Michel Vuillermoz, Stéphane Varupenne et Hervé Pierre mettent vraiment en valeur cet aspect-là de la pièce. Le comte néglige le marquis parce qu’il manque d’argent, le marquis méprise le comte car son titre est acheté et le chevalier, les dédaigne tous deux car il est le seul à être issu de la noblesse de l’épée. Cette tension amène inévitablement à un dénouement qui, à bien y réfléchir, ne semble pas si heureux.


Les décors de cette pièce sont magnifiques et en quelques secondes, à chaque changement de plateau, la scène est entièrement transformée ; seule reste au lointain l’esquisse d’un village. Pour masquer ces transitions, un rideau d’avant-scène tombe et transforme le proscénium en couloir, un endroit propice aux confidences ou aux répliques adressées au public. Les costumes imaginés par Renato Bianchi sont sublimes eux aussi . Leurs couleurs vives tranchent avec les murs ocres de l’architecture méditerranéenne. Le seul bémol que l’on pourrait reprocher à cette pièce, c’est la simplicité des dialogues. On retrouve quelques belles saillies mais l’intrigue mériterait d’être exprimée dans le beau langage du XVIIIe siècle. La traduction de Myriam Tanant - qui mourut quelques semaines après l’avoir achevée, le spectacle lui est d’ailleurs dédié - transcrit fidèlement l’esprit du texte. Ce choix de la simplicité vient de Goldoni. Bien qu’il fût particulièrement sensible au courant des lumières, on ne retrouve pas la beauté du verbe des grands dramaturges et philosophes français de ce mouvement de pensée.


© Christophe Raynaud de Lage

La première de La Locandiera qui devait avoir lieu fin mai fut reportée à cette saison sur décision de l’administrateur général de la Comédie-Française pour cause de grève. Une situation qu’ Alain Françon connait puisque les premières représentations de la Trilogie de la Villégiature de Goldoni qu’il avait mis en scène salle Richelieu en 2012 furent déjà annulées par une grève. Le subtil travail qu’il nous propose met en valeur les recoins sombres de l’intrigue sans atténuer les ressors comiques. Cette vision du texte est magistralement servie par d’excellents comédiens et elle est sublimée par des décors et des costumes splendides. Une vraie réussite, cela valait le coup d’attendre !


 

La Locandiera - Comédie Française

1 Place Colette 75001

Du 27 octobre 2018 au 10 février 2018 Du lundi au dimanche à 20h30

de 7€ à 43€



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