Fanny et Alexandre
Pour sa deuxième mise en scène à la Comédie-Française, Julie Deliquet fait entrer le réalisateur Suédois Ingmar Bergman au répertoire avec une adaptation de Fanny et Alexandre. La jeune metteure en scène aborde des thèmes qui lui sont chers tel que le couple, la famille ou la mort dans un très bel hommage au monde théâtral et à la Comédie-Française.

Après Les Damnés de Visconti mis en scène par Ivo Van Hove et La Règle du Jeu de Jean Renoir par Christiane Jatahy ces dernières années, la Comédie-Française poursuit ses adaptations de grands classiques du cinéma avec Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman. Ce nom, surtout associé à des films tel que Cris et chuchotements ou Sonate d'automne a également marqué le théâtre par des mises en scènes notables de Strindberg, d’Ibsen ou encore de Shakespeare.
"Je peux exister sans faire de films, mais je ne peux pas exister sans faire de théâtre"
Ingmar Bergman
Fanny et Alexandre retrace la vie d’une famille épanouie détenant un théâtre au début du XXe siècle en Suède. Tout bascule après la mort brutale et inattendue du père de famille Oscar Ekdahl. Un an plus tard, sa femme Emilie souhaite prendre ses distances avec le monde du théâtre ; Elle tombe amoureuse d’Edvard Vergerus, un évêque luthérien et accepte de se marier et de s’installer chez lui avec ses deux enfants, Fanny et Alexandre. Une fois prise dans ce piège conjugal, l’évêque dévoile sa vraie nature et se révèle être un homme puritain, cruel et pervers.
Cette œuvre fut d’abord un roman dont Ingmar Bergman puisa l’inspiration dans sa propre histoire. Il l’adapta ensuite en série télévisée puis il en fit un film en 1982 qui sera son dernier. Jusqu’à sa mort en 2007, il n’écrira plus pour le cinéma que des scénarii mais pour le théâtre, il continuera jusqu’en 2002 de mettre en scène ses auteurs favoris. L’année du centième anniversaire de sa naissance, Julie Deliquet poursuit l’œuvre de Bergman adaptant ce vibrant hommage au théâtre à la Comédie-Française. Cette pièce écrite à partir des dialogues de la série télévisée et du film fut enrichie de nombreuses références à la vie du réalisateur et à la littérature théâtrale.
Bande annonce en VO
La pièce se divise en deux parties distinctes. La première se déroule dans le théâtre des Ekdahl après une représentation le soir du 24 décembre et se termine avec la mort d’Oscar. Les comédiens encore en costume de Marie, de Joseph ou de Rois Mages fêtent Noël tous ensemble autour d’une table montée sur tréteaux. La force de cette première partie vient du fait que Julie Deliquet efface la frontière entre les acteurs et leurs personnages. Sommes-nous sur la scène d’un théâtre suédois ou à la Comédie-Française ? Doit-on entendre les propos tenus par les comédiens comme des répliques de leurs personnages ou comme des confessions qu’ils feraient sur leur propre métier ? Le doute est d'autant plus fort que la metteure en scène a glissé dans la bouche de certains des références à leur carrière ; Dominique Blanc récite quelques vers de Phèdre, une pièce dans laquelle elle triompha en 2003, Laurent Stocker et Florence Viala se souviennent le temps d’une réplique de leur rôle dans Vania de Tchékhov, une pièce qu’ils ont jouée l’an dernier au théâtre du Vieux-Colombier dans une mise en scène de Julie Deliquet… Dans ce monde clos qu’est une pièce de théâtre comme dans la vie réelle, tous les événements s’influencent entre eux, se coupent et se recoupent. On reconnaît aussi des décors et accessoires récupérés d’autres pièces jouées salle Richelieu tel que des panneaux utilisés dans Cyrano de Bergerac mis en scène par Denis Podalydès et surtout le lit qui fut utilisé dans Roméo et Juliette mis en scène par Eric Ruf.
Cette partie de la pièce qui se déroule quasiment en temps réel est fortement inspirée de la vision qu’avait Bergman du théâtre. C’est un jeu cinématographique proche de la mise en scène de La Règle du Jeu de Christiane Jatahy ; Le plateau regroupe de nombreux comédiens qui jouent à la fois sur la scène et dans la salle, ils s’adressent au public et chacun est en mouvement et fait vivre son personnage. Le jeu n’est pas centré sur les personnages importants qui focalisent l’attention, au contraire, chaque spectateur est libre de suivre qui il veut.

La seconde partie qui présente la seconde vie de la famille Ekdahl avec l’évêque Luthérien présente une mise en scène aristotélicienne très classique. Brutalement, le décor devient austère, la mise en abîme disparaît et devient plus terne. On perd à regret la porosité entre réalité et fiction qui donnait toute sa force à la première… D’ailleur, le passage de l'une à l'autre est d'autant plus brutal qu'il est marqué par un entracte ce qui donne l’impression d’assister à une autre pièce. Heureusement, l’excellent jeu des comédiens fait vite oublier les défauts de cette mise en scène. Thierry Hancisse est fantastique dans le rôle de l’évêque sadique. Tout l’aspect cathartique de ce spectacle repose sur son jeu d’acteur et il réussit à être aussi fascinant qu’effrayant. Cette pièce dans la globalité est portée par de sublimes comédiens avec entre autres Dominique Blanc et Elsa Lepoivre pour les rôles féminins et Laurent Stocker et Denis Podalydès pour les personnages masculins. Le fleuron de la Comédie-Française est réuni sur scène. Julie Deliquet donne également sa place à la nouvelle génération puisque le rôle d’Alexandre qui occupe une place importante tout au long de la deuxième partie est attribué à Jean Chevalier, un des derniers pensionnaires à avoir rejoint la troupe l’année dernière.

Avec Fanny et Alexandre, Julie Deliquet rend un très bel hommage à la fois à Ingmar Bergman, à l’art théâtral, au métier de comédien et à la Comédie-Française. Les comédiens semblent beaucoup s’amuser à ajouter des confidences sur leur métier aux répliques de leur personnage pour entremêler réalité et fiction. La seconde partie plus classique est magistralement interprétée notamment par Thierry Hancisse qui ne nous fait pas regretter très longtemps l’originalité de la première. La distribution dans son ensemble est excellente, une alchimie particulière se crée entre tous ces comédiens incroyables qui rendent hommage avec éloquence à l’art théâtral.
Fanny et Alexandre - Comédie-Française
1 place Colette, 75001
du 09 février 2019 au 16 juin 2019 Du lundi au dimanche à 20h30 Matinées le week-end à 14h00
de 05€ à 42€
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