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L'Eveil du Printemps

Pour son entrée au répertoire de la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger monte L’Eveil du Printemps de Frank Wedekind dans une mise en scène moderne et respectueuse du texte.



Avortement, masturbation, homosexualité, suicide… dans cette pièce qui lui ouvrira la voie de la postérité, Frank Wedekind retranscrit la violence de cette période complexe de la vie que l’on nomme aujourd’hui « adolescence ». Il dessine avec justesse la prise de conscience du corps et de la sexualité chez les jeunes en ne ménageant aucun tabou de la société. Il provoque et se moque des conventions morales. Le spectateur se trouve face à une réalité crue et voit se succéder sur le plateau des scènes d’intimité. On ne tombe pourtant jamais dans le voyeurisme, là est la grandeur de cette pièce. Le dramaturge a savamment dosé chaque élément du texte pour ne pas faire dévier son propos. Ces précautions-là n’ont pas été suffisantes lors de sa parution en 1891, la pièce fut immédiatement interdite pour pornographie.

"Moritz : Les as-tu déjà ressenties ?

Melchior : Quoi ?

Moritz : Comment tu disais ?

Melchior : Les excitations mâles ?

Moritz : Euh…

Melchior : Bien sûr !

Moritz : Moi aussi."

L'Eveil du Printemps - Frank Wedekind



La sexualité est en elle-même une thématique rare dans le répertoire théâtral, celle des adolescents est quasi inexistante. L’auteur utilise ce sujet comme fondement pour aborder d’autres sujets périphériques tels que l’éducation ou la morale. Cette pièce déroute car Wedekind ne cherche pas à nous donner la marche à suivre, il se contente d’exposer des situations qu’il laisse naturellement s’envenimer pour montrer leurs limites et leurs faiblesses. cette oeuvre ne répond à rien, elle pose des questions.



A l’image de l’oxymore qui compose le sous-titre : « tragédie enfantine », les personnages sont tiraillés entre l’insouciance passée de leur vie d’enfant et la dureté de leur future vie d’adulte. Les scènes les plus sombres sont entrecoupées de passages comiques dont l’humour et les jeux de mots rappellent parfois des plaisanteries puériles, notamment dans les noms de certains protagonistes. Ainsi, le médecin Von Brausepulver, parfois traduit en français par : « Docteur Bicar de Bonate », constate après un examen médical que l’une des adolescentes est enceinte.



© Brigitte Enguérand

Clément Hervieu-Léger a choisi de représenter le texte dans son intégralité, un parti pris assez rare pour cette œuvre qui recense presque quarante rôles différents. En cela, la pièce est parfaitement adaptée au travail d’une troupe et plus d’un tiers des comédiens du Français joue au cours des trois heures de représentations. Cette multitude de personnages évolue dans un décor monochrome bleu marine qui rappelle les couleurs des chambres d’enfants. Par un jeu de lumière, on passe d’un bleu profond et angoissant à un bleu gris apaisant au rythme de l’intrigue. La scénographie est signée Richard Peduzzi, un grand maître du décor théâtral. Il a fait de l’espace scénique une immense boîte assimilable à une mallette ou on range les jouets d’enfants. Chaque élément s'apparente aux pièces d'un jeu de construction. Au gré des changements de lieux, d’immenses piliers cubiques évoquent une forêt, des rectangles dessinent le contour des fenêtres des maisons, un pavé droit sert de lit… Les personnages sont les pantins d’un monde qui les dépasse et qui se construit et se déconstruit sans qu’ils réussissent à l’appréhender.


La mise en scène de Clément Hervieu-Léger associée à cette scénographie et à un excellent jeu d’acteurs en font une très bonne pièce malgré quelques détails techniques qui brisent la temporalité. On regrette de trop longs changements de décors rideau fermé et quelques scènes qui traînent un peu… Ce ne sont que des détails comparés au travail global, espérons que des modifications seront faites au fil des représentations.





Cette œuvre particulière s’adresse à des amateurs de théâtre et ne pourra contenter un large public peu familier de textes aussi amers. Les trois heures de représentation sans entracte pourraient rebuter et il n’est pas étonnant de voir des spectateurs quitter la salle discrètement. Cependant, en mettant à l’affiche L’Eveil du Printemps, la Comédie-Française remplit son rôle qui consiste à préserver le répertoire théâtral. Qui d’autre que le théâtre public pourrait-il se permettre de mettre en scène cette pièce dans son intégralité ? L’intelligente mise en scène de Clément Hervieu-Léger, associée au décor de Richard Peduzzi, sans oublier la qualité du jeu des comédiens, offrent à Frank Wedekind une entrée magistrale au répertoire. Bel hommage pour le centenaire de sa mort.

 

L'Eveil du Printemps - Comédie-Française

1 Place Colette 75001

Du 14 avril 2018 au 08 Juillet 2018 Du lundi au dimanche à 20h30

de 7€ à 43€

Pour les moins de 28 ans, des places à 10€ en catégorie B et C sont proposées en réservant en ligne avec le code "PRINTEMPS".

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